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Alfred Laliberté et l’incarnation d’un idéal artistique (thème 36)


Ce mois-ci, je suis particulièrement heureuse que le thème choisi porte sur la mythologie et l’allégorie, car il me permet de vous parler de l’un des artistes que je préfère : Alfred Laliberté. Cela tombe bien puisque la collection du Musée d’art de Joliette (MAJ) conserve trente-cinq (35) sculptures et quatre (4) peintures qui témoignent de la diversité de son travail.


Alfred Laliberté était un artiste prolifique dont la production est estimée à plus de neuf cents (900) sculptures, cinq cents (500) peintures et trois (3) manuscrits. Il tient une place indéniable dans le palmarès des artistes les plus célèbres et les plus représentés dans les collections muséales québécoises, canadiennes, de même que dans les collections privées. Depuis son décès, son œuvre a fait l’objet d’une grande quantité de publications et d’expositions. Notamment, en 1998, le Musée du Québec présentait l’exposition Laliberté et Rodin qui a largement contribué au rayonnement de Laliberté, « notre sculpteur national ». Mentionnons également l’important travail d’Odette Legendre, nièce du sculpteur, qui a largement contribué à la diffusion de son œuvre.


J’ai découvert Alfred Laliberté lors de ma première visite au Musée des beaux-arts de Montréal au cours de mes études au baccalauréat. Aussitôt attirée par celles-ci, je n’avais pu m’empêcher de les contempler longuement sous tous les angles. Ce fut un réel coup de foudre. J’ai été frappée par le travail de la matière et la façon de Laliberté de façonner et de rendre les formes. L’expressivité de son langage plastique qui manifeste une expression de soi à travers l’utilisation de l’allégorie évoquait pour moi une profonde sensibilité et un souci pour le rendu. Laliberté était en effet une personne sensible et tourmentée, sujette à la déprime et l’angoisse, dont les sentiments se reflètent particulièrement dans sa production de figures symboliques et allégoriques. Avant de passer directement aux œuvres, il faut comprendre ce qu’est une allégorie en art.


L’allégorie : un genre artistique


Une allégorie est un principe de transposition qui peut prendre les formes les plus diverses.[1] Chez les artistes, elle représente un moyen permettant de donner une forme concrète à une idée abstraite, souvent par l’utilisation d’une figure humaine.

Le genre allégorique ne semble pas populaire au Québec avant le début du 20e siècle, ou du moins, les sculptures de ce type semblent avoir toutes disparu.[2] C’est à l’École des beaux-arts art de Paris qu’Alfred Laliberté découvre les thèmes allégoriques et symboliques, car ceux-ci faisaient partie du programme éducatif. De manière significative, c’est le travail d’Auguste Rodin (1840-1917) qui aura un impact sur celui du jeune sculpteur québécois.

L’allégorie et le symbole sont donc pour Laliberté les expressions d’une création intellectuelle transposant le désir de l’artiste de métamorphoser ses rêves en œuvres d’art. La réalisation d’une allégorie représente pour lui un moyen qu’il considère « comme la plus haute aspiration de l’idéaliste ».[3] C’est ainsi que pour de nombreux artistes, l’incarnation du beau et de l’idéal se transpose dans l’allégorie féminine. Au courant de sa carrière, Laliberté réalise au-delà de cent cinquante (150) sculptures allégoriques qui se déclinent en sous-thèmes. Le MAJ en possède de beaux exemples dans sa collection. Vraisemblablement, quelques-unes de ces œuvres seraient uniques.


L’amour


Thématique chère à son art, l’amour évoque pour Alfred Laliberté « l’idée d’une beauté pure, capable d’influencer la sensibilité de l’âme. »[4] Il affirme lui-même dans son manuscrit Pensées et réflexions que « l’art et l’amour sont la voie de vivre de l’artiste ».[5] Il est aisé de comprendre la raison pour laquelle il réalise une série d’œuvres allégoriques sur le thème de l’amour. On n’en connaît toutefois pas le nombre exact, car plusieurs n’ont pas été localisées. Le MAJ s’enorgueillit de détenir cinq (5) œuvres appartenant à cette thématique.







Alfred Laliberté, L'amour aveugle, date inconnue



L’amour aveugle (date inconnue) illustre une femme aux yeux bandés guidée par Cupidon, personnage mythologique que l’on retrouve également dans Chemin de l’amour (date inconnue). La sculpture Amour chassant (date inconnue) est la représentation d’un homme ailé armé d’un arc qui prend une pose séductrice. L’œuvre Renaissance du printemps (1952), récemment restaurée par le CCQ, évoque, comme son titre l’indique, l’amour et la nature qui renaissent chaque printemps. Un homme tient une femme par la taille et la regarde tendrement. Les deux sont à demi assis sur une souche d’arbre. Il s’agit là d’une astuce utilisée par les sculpteurs depuis des siècles pour assurer une meilleure solidité à leurs personnages sculptés. L’iconographie rappelle quelque peu celle d’Adam et Ève.


Alfred Laliberté, Chemin de l'amour, date inconnue




De gauche à droite :

Alfred Laliberté, Amour chassant, date inconnue

Alfred Laliberté, Renaissance du printemps, 1902



L’image traditionnelle du sculpteur ou l’allégorie de la sculpture


Actuellement en restauration, l’œuvre Le sculpteur romanesque (1949) m’amène à me pencher sur un second thème allégorique cher à Laliberté : le sculpteur à l’œuvre.


Alfred Laliberté, Le sculpteur romanesque, 1949


Très proche sur le plan de la composition de Renaissance du printemps, Le sculpteur romanesque traite à la fois de l’amour, dans une certaine mesure, et de l’image traditionnelle du sculpteur. Cette sculpture est une ébauche en terre crue séchée. Il s’agit d’un exemplaire unique et singulier. En effet, les modèles en terre étaient voués à disparaître dans le processus de moulage. Cet objet est le témoin qui nous permet de comprendre la première étape dans le processus de création d’une sculpture, c’est-à-dire celle de l’ébauche qui mène à l’œuvre finie. Le sculpteur romanesque est tout à fait représentative de l’iconographie du sculpteur à l’œuvre. Elle matérialise l’idée de l’élan créatif, c’est-à-dire l'instant où l'artiste donne vie à son œuvre. Souvent exploité par Laliberté, ce thème a donné naissance à un bon nombre d’œuvres, notamment Le Réveil (vers 1940), Le fils de ses œuvres (vers 1926) et de nombreux autoportraits, dont fait partie Autoportrait (1912).



Le Réveil est une allégorie représentant un jeune homme, assis à même le sol, qui ouvre les yeux et semble s’éveiller. Sa main s’apprête à ramasser un maillet. À côté se trouve une palette de peintre. Sans équivoque, Laliberté a voulu montrer un homme qui, en se dégageant de la matière, s’éveille à l’art, à la pensée et à la quête de l’idéal.




Alfred Laliberté, Le Réveil, vers 1940


Dans Le fils de ses œuvres, c’est l’artiste qui naît en se dégageant lui-même de la matière à l’aide de ses propres mains. Selon les écrits de Laliberté, cette œuvre est en fait un double autoportrait : l’image du sculpteur qui dégage son propre corps de la matière et celle du fils né d'une terre rustique qui parvient par ses efforts à devenir un homme raffiné, idéalisé.[6] Alors que dans Le sculpteur romanesque, il se représente debout, en plein travail, tenant dans ses mains le maillet et le ciseau en train de tailler le corps d’une femme. Cette iconographie est reprise plusieurs fois par Laliberté. Ces quatre sculptures allégoriques nous renseignent sur un pan important du métier de sculpteur : l’inspiration[7] et la naissance d’un artiste.




Alfred Laliberté, Le Fils de ses œuvres, vers 1926


La guerre


Alfred Laliberté, Autoportrait, 1912


De son vivant, Laliberté a bien sûr connu les deux guerres mondiales. Source d’angoisse sociale, les conflits armés touchent l’ensemble de la population en ne laissant personne indifférent. C’est donc sans surprise que l’artiste a réalisé un petit corpus d’œuvres portant sur ce thème. Le MAJ en possède par ailleurs trois belles pièces. Mentionnons rapidement un bas-relief et un grand plâtre respectivement intitulés Le soldat (date inconnue) et Bella Matribus Detestata [Les mères détestent la guerre] (date inconnue) avant de nous intéresser plus particulièrement au plâtre intitulé Frères d’armes (vers 1943). Tout à fait représentative des sujets abordés par l'artiste, cette sculpture évoque la solidarité entre les combattants et traduit la fierté d’un peuple. Selon les informations que nous avons recueillies, Frères d’armes semble être l’unique exemplaire de cette iconographie.


Alfred Laliberté, Bella Matribus Detestata [Les mères détestent la guerre], date inconnue


Alfred Laliberté a contribué largement à l’évolution de la sculpture canadienne, notamment en introduisant une grande variété de sujets qui n’existaient pas avant lui au Québec. Le MAJ a de quoi s’enorgueillir de la présence dans sa collection de ces œuvres évoquées dans ce court texte et qui ne sont qu’une fraction de l’ensemble de la production d’Alfred Laliberté. En effet, plusieurs d’entre elles sont des exemplaires uniques ou rares. Seules les pièces Renaissance du printemps, Le fils de ses œuvres et Autoportrait ont été coulées en bronze. Les autres semblent être restées à l’état d’ébauche ou de petits plâtres. Puisque les sculptures que Lalibeté produisait étaient généralement destinées à être reproduites en plusieurs exemplaires, nous pouvons supposer que ces modèles n’ont pas trouvé preneur auprès des collectionneurs et amateurs d’art. Ces œuvres mériteraient qu'on leur consacre plus d'attention en accordant du temps à la recherche afin de nourrir la connaissance de ses œuvres.


Alfred Laliberté, Frères d'armes, vers 1943


Cet article a été écrit par Nathalie Galego, conservatrice adjointe aux collections du Musée d'art de Joliette.



Pour en apprendre davantage :


Sur Alfred Laliberté (une sélection)

➔ Nicole cloutier, Laliberté, Musée des beaux-arts de Montréal, Montréal (Québec), 1990, 215 p.

➔ Legendre, Odette, Laliberté, Fides, Saint-Laurent (Québec), 2001, 187 p.

➔ Legendre, Odette, Laliberté et Rodin, Musée du Québec (Québec), 1998, 101 p.

➔ Bergeron, Maggie, De l’autoportrait à l’autofiction dans l’œuvre sculptée et les écrits d’Alfred Laliberté, Mémoire de maîtrise. Université Laval, 2015, 129 p.


Sur les écrits de l’artiste



➔ Laliberté, Alfred (présenté par Odette Legendre, Mes souvenirs, Boréal, Montréal (Québec), 1978, 270 p.

➔Laliberté, Alfred (présenté par Odette Legendre), Pensées et réflexions, Les éditions Septentrion, Québec (Québec), 2008, 164 p.

➔Laliberté, Alfred, Les artistes de mon temps, Boréal, Montréal (Québec), 1986, 305 p

 

[1] Cloutier, Nicole, Laliberté, Musée des beaux-arts de Montréal, Montréal (Québec), 1990, p. 61 [2] Idem, p. 61 [3] Bergeron, Maggie, De l’autoportrait à l’autofiction dans l’œuvre sculptée et les écrits d’Alfred Laliberté, Mémoire de maîtrise. Université Laval, 2015, p. 72. [4] Idem, p. 82. [5] Laliberté, Alfred, Pensées et réflexions, Québec, Cahier des Amériques, 2008, p. 59. [6] Laliberté, Alfred (présenté par Odette Legendre), Mes souvenirs, Boréal, Montréal (Québec), 1978, pp 171 et 172. [7] Bergeron, Maggie, De l’autoportrait à l’autofiction dans l’œuvre sculpté et les écrits d’Alfred Laliberté, Mémoire de maîtrise. Université Laval, 2015, p. 24.


 

POUR PARTICIPER À MUSÉE EN QUARANTAINE


Vous avez jusqu'au mardi 31 mai pour nous envoyer vos créations artistiques inspirées du thème du mois. L’exposition sera en ligne le jeudi 2 juin 2022.

Cliquez ici pour savoir comment participer. )

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