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Art et technologie, deux étrangers?
Dernière mise à jour : 3 juin 2020
Thème de la semaine : art et technologie
L’art et la technologie sont-ils deux étrangers? Au contraire, l’art se nourrit de tout ce qui touche l’humain, dont la technologie. Au fil des siècles, la technologie s’est développée lentement. Au 15e siècle, Johannes Gutenberg (1400-1468) invente l’imprimerie, révolutionnant du même coup l’art de la reproduction de textes et d’estampes. Vers 1720, un pharmacien allemand a par accident inventé le fameux bleu de Prusse, immédiatement exploité par les artistes. Depuis le 19e siècle, les inventions technologiques, tels la radio, la photographie et le cinéma, s’accélèrent et chaque découverte est rapidement intégrée dans l’ensemble des domaines artistiques : musique, cinéma, arts visuels, arts de la scène, animation, jeux vidéo.
L’impact de la photographie sur la peinture
Les technologies ainsi mises au service de l’art – que ce soit dans les processus de création, de diffusion ou de médiation – ont profondément chamboulé les traditions et les institutions. En effet, au milieu du 19e siècle, l’avènement de la photographie et son «instantanéité» a secoué l’univers des peintres portraitistes : ils n’étaient plus les seuls à pouvoir représenter le réel! Leur part de marché s’est vue fortement touchée. Pour poursuivre la pratique de leur art et demeurer pertinents, plusieurs peintres vont adapter leur pratique aux procédés photographiques. Certains, comme Joseph Dynes (1825-1897), vont travailler de concert avec les photographes, réalisant des portraits photographiques peints. D’autres, comme Antoine Sébastien Plamondon (1804-1895) et Eugène Hamel (1843-1932), vont simplement utiliser les photographies comme modèles. D’autres encore exerceront leur art à la fois comme peintres et photographes, dont Alfred Boisseau (1823-1901) et Ludger Ruelland (1827-1896). Ces exemples témoignent de la relation étroite qui s’est développée entre la photographie et la peinture.

Ludger Ruelland, Portrait de madame Émilie Lemieux, 1877. Photo : Ginette Clément

Eugène Hamel, Autoportrait, 1870c. Photo : Ginette Clément

Antoine Plamondon, Portrait d'un gentilhomme, 1878. Photo : Richard-Max Tremblay
Les nouvelles technologies et la sculpture
Au tournant du 20e siècle, l’industrialisation et les importations exercent une concurrence très forte sur le travail des sculpteurs traditionnels, qui abandonnent les chantiers et les ateliers. Les bateaux à vapeur et leur coque de métal sonnent le glas de la sculpture navale. La demande pour la sculpture religieuse traditionnelle sur bois est en baisse. Le milieu voit s’installer la production en série, notamment avec la Maison T. Carli et Petrucci (1867-1923), dont la popularité des moulages de plâtre présentés dans leurs catalogues rivalise avec celle des productions des sculpteurs. Pour survivre, ces derniers se voient forcés de se spécialiser. Louis Jobin (1845-1928) et Joseph Olindo Gratton (1855-1941) se lancent dans la sculpture monumentale extérieure, dont, malheureusement, plusieurs n’ont pas survécu aux intempéries. D’autres sculpteurs diversifieront leur pratique en exploitant de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques. C’est le cas des Québécois Louis-Philippe Hébert (1850-1917) et Alfred Laliberté (1878-1953) qui abandonnent la taille directe pour le modelage et le moulage et délaissent le bois pour l’argile, le plâtre et le bronze. Ces sculpteurs se réapproprient la pierre, un matériau principalement utilisé à l’époque pour les monuments funéraires. La durabilité du bronze et de la pierre permettent la multiplication des œuvres d’art public. Hébert et Laliberté en seront les plus grands acteurs de l’époque.

Alfred Laliberté, Les Chutes Niagara, 1910. Photo : Richard-Max Tremblay

Louis-Philippe Hébert, Sir Wilfrid Laurier, 1892. Photo : Ginette Clément
Les révolutions technologiques des 60 dernières années
Au fil des décennies, les révolutions technologiques s’accélèrent et les artistes suivent le rythme. Si les années 1960 ont vu l’arrivée de la vidéo et les années 1970 et 1980, celle des ordinateurs, c’est à une explosion technologique qu’on assiste depuis les années 1990 avec les progrès fulgurants dans les domaines de la robotique, du jeu vidéo, du web, de la réalité virtuelle ou de l’intelligence artificielle. Cette effervescence technologique devient accessible et offre aux artistes de nombreuses avenues créatrices. À l’ère de l’informatique, tout est possible. Certains choisissent de modeler leurs projets par ordinateur avant de procéder à leur réalisation. Pensons à l’artiste québécois Daniel Langevin (1974-) qui procède à l’élaboration de ses compositions par le biais de son ordinateur avant de transposer son schéma et d’appliquer la peinture acrylique sur ses supports. Loin de la spontanéité des automatistes, l’acte de peindre chez Langevin est le résultat d’un calcul chromatique minutieusement construit comme seul peut le permettre un logiciel ultraperformant.
À l'image des procédés qu'elles empruntent, les œuvres d'art technologiques adoptent d'innombrables formes et font appel à divers matériaux. Certaines œuvres sont de nature relativement simple, comme les projections vidéo ou les installations sonores : on pense entre autres à Regard (du) critique (1988) et Femmes de toilette (1980) de Pierre Ayot (1943-1995) qui font partie de la collection du MAJ. D’autres productions sont plus complexes, comme les œuvres cinétiques de Jean-Pierre Gauthier (1965-) et celles du duo formé de Caroline Monnet (1985-) et de Ludovic Boney (1981-) qui ont réalisé Hydro (2019). On pense encore aux œuvres de Mat Chivers (1973-) issues de l’intelligence artificielle et de l’impression 3D, tout comme celles de Patrick Coutu (1975-). La création est sans limites.
Avec l’accélération des avancées technologiques, il est impossible de prédire le développement futur des arts plastiques et des performances artistiques. L’histoire a montré comment les artistes, tous domaines confondus, ont toujours su surprendre le public et l’amener dans des directions inattendues. L’avenir nous dira comment. Il restera toujours aux acteurs du milieu de la conservation et de la restauration de relever les nombreux défis quant à la préservation de ces œuvres aux composantes technologiques.

Daniel Langevin, Entrave (VO), 2013. ©Daniel Langevin

Mat Chivers, Migration, 2018. Photo : Paul Litherland.
➔Visitez ou revisitez la page de notre exposition Jean-Pierre Gauthier. Les générateurs stochastiques présentée en 2018.
➔Voyez la page de l’exposition Mat Chivers. Migrations en 2018 et qui a circulé à l’Arsenal Montréal en 2019.
➔Revoyez notre récente exposition Patrick Coutu. L'attraction du paysage présentée en 2019.
➔Replongez dans l’univers de l’exposition De tabac et de foin d’odeur. Là où sont nos rêves présentée en 2019, dans laquelle était présentée l’œuvre Hydro Caroline Monnet et Ludovic Boney.
➔Venez découvrir ou redécouvrir l’installation Femmes de toilette de Pierre Ayot présentée au MAJ en 2016-2017.
Cet article a été écrit par Nathalie Galego, adjointe aux collections au Musée d'art de Joliette
👉 LIRE TOUS LES ARTICLES DE L'ÉQUIPE DE CONSERVATION DE LA COLLECTION DU MAJ
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