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Jeff Thomas : d’hier à demain en passant par aujourd’hui
Les questionnements concernant la place de l’histoire dans l’espace public reviennent à l’avant-scène depuis quelques années, mais ce mouvement s’est accéléré dans la foulée de la mort de George Floyd, qui a alimenté les revendications du mouvement Black Lives Matter.
La statue de John A. MacDonald a été déboulonnée par un groupe d’activistes à Montréal à l’été 2020 alors qu’à Toronto, elle est cachée par des palissades en attendant qu’une décision soit prise sur son sort. On reproche avec raison au personnage son rôle important dans la mise en place du processus d’assimilation des populations autochtones. Quelle version de l’histoire célébrons-nous par nos monuments et quelles perspectives restent dans l’ombre? À qui s’adresse ces récits?

Jeff Thomas, de la série The Bear Portraits, en cours depuis 1984, photographie
Ces interrogations nourrissaient déjà la démarche du photographe Jeff Thomas, qui s’intéresse depuis les années 1980 à la présence et à l’absence de figures autochtones dans l’espace public. La confrontation entre les images d’archive et celles d’aujourd’hui, visible dans le corpus Scouting for Indians, ou celle entre des sujets photographiés par un regard étranger et les images résultant de l’autoreprésentation dont témoigne la série Strong Heart, sont les moteurs de la pratique de Thomas. Son impulsion est d’abord documentaire : il photographie en noir et blanc les représentations autochtones stéréotypées dans les ornements architecturaux, les affiches promotionnelles et les monuments publics des villes. Puis, c’est l’absence de présence autochtone dans des paysages touristiques connus qu’il souligne en y insérant des figurines en plastique dans les projets regroupés sous l’idée de la conversation. Avec Seize The Space (1999-2013), probablement son projet le plus connu (qui se décline en plusieurs corpus), l’artiste imagine une action performative sous forme de dialogue avec la statue de Samuel de Champlain, déjà immortalisée dans ses œuvres en 1992.

Jeff Thomas, Champlain Series, 2000-2011, du corpus Seize That Space, photographie
Pour ce projet, Thomas a invité des participants à prendre la place laissée vacante par le guide anishinabé anciennement agenouillé à aux pieds de la statue de Champlain, située à Ottawa sur le belvédère de la Pointe Nepean, face à la rivière des Outaouais. Relocalisé suite à des pressions soulignant le rapport de force qu’incarnait et célébrait le monument, le guide se trouve maintenant dans le parc Major Hill, toujours à Ottawa. Alors qu’au moment de la réalisation de la statue par Hamilton MacCarthy en 1918, l’ajout du guide anishinabé visait à reconnaître l’aide importante que les autochtones ont fournis à l’explorateur navigant sur la rivière des Outaouais, on ne peut que constater que la composition initiale du bronze, vue à travers les yeux d’aujourd’hui, véhiculait un message ambigu.

Jeff Thomas, Champlain Series, 2000-2011, du corpus Seize That Space, photographie
Si les statues et monuments agissent comme des témoins d’un passé dont il ne faut pas oublier les leçons, ou dont il faut célébrer les accomplissements, force est d’admettre que face à une population diversifiée et en transformation constante, dont les membres s’identifient à plusieurs cultures et ont des expériences de vie variées, il est complexe d’affirmer un récit national univoque et durable dans l’espace public. Ce que le caractère permanent de l’art public a eu tendance à renforcer. Plusieurs militent pour un art public plus éphémère ou l’instauration d’un processus de recontextualisation des monuments selon un cycle régulier. Jeff Thomas a agit comme précurseur de ce mouvement. Il s’intéresse aujourd’hui à l’espace virtuel et aux archives en ligne en tant que moyen pour garder les images vivantes. Un projet d’exposition d’envergure se prépare avec l’artiste, en collaboration avec d’autres partenaires, qui fera découvrir son travail à Joliette.

Jeff Thomas, Lest We Forget – Major Hill Reserve Park, 2013, photographie
Cet article a été écrit par Anne-Marie St-Jean Aubre, conservatrice à l'art contemporain du Musée d'art de Joliette.
POUR PARTICIPER À MUSÉE EN QUARANTAINE
Vous avez jusqu'au jeudi 30 septembre à midi pour nous envoyer vos créations artistiques inspirées du thème du mois. L’exposition sera en ligne le jeudi 7 octobre 2021.
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