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La représentation de la figure féminine dans des œuvres de la collection du MAJ (thème 23)
Le 24 mars 2021, c’était la première fois que j’allais travailler sur place au Musée, et non de chez moi, sur mon ordinateur. Pour moi, il n’y a rien de mieux que l’expérience réelle et physique avec une œuvre pour mieux la comprendre et l’apprécier. À mon arrivée, Julie, la responsable des communications du MAJ, m’a remis mon Catalogue des collections du Musée d’art de Joliette. Pour moi, ça allait être mon nouveau repère. Cet ouvrage regroupe 120 notices d’œuvres et il est le résultat d’un grand travail de recherche mené sur l’histoire du Musée d’art de Joliette et sa collection.

Couverture du Catalogue des collections du Musée d'art de Joliette
Avant de commencer ma visite, on m’a annoncé le thème du mois d’avril pour Musée en quarantaine : Superposition. C’est alors avec ce seul et unique mot en tête que j’ai déambulé sur les trois étages du Musée à la recherche d’inspiration. Évidemment, ça n’a pas été difficile parce que dès que j'ai mis les pieds dans Les îles réunies, l’exposition permanente du MAJ, je me suis posé la question suivante : comment les œuvres de différentes époques et de différents courants ou esthétiques peuvent parler entre elles lorsqu’elles sont mises en relation ? Ou encore, comment toutes les œuvres regroupées dans le Catalogue du MAJ peuvent nous en apprendre sur l’histoire du lieu qui les abrite?
Le 8 mars, c’est la Journée internationale des droits des femmes, j’ai donc décidé d’écrire mon texte en portant un regard sur les représentations des femmes en peinture dans la collection du MAJ à travers le temps.
Figure allégorique ?
En feuilletant les pages du Catalogue des collections du MAJ, j’ai été intriguée par l'œuvre Sainte-Marie Madeleine (1650), attribuée à l’artiste italien Andrea Vaccaro. Dès que je me suis mise à lire sa description dans le livre, j’ai compris que cette peinture appartenait à un type iconographique bien précis : « une demi-figure vêtue, légèrement de trois quarts, le regard tourné vers le ciel. » Ensuite, j’ai tenté de faire des comparaisons avec des œuvres réalisées en Italie à la même époque. En regardant plusieurs peintures différentes, je me suis rendue compte que dans la plupart des œuvres que j’observais, la représentation de la femme apparaissait sous la forme d’une sainte, de Marie, d’une madone ou bien d’une déesse. Quelle que soit son apparition, elle restait allégorique.

Attribué à Andrea Vaccaro, Sainte-Marie Madeleine, 1650
Dans cette œuvre, on peut observer la figure de Sainte-Marie Madeleine, pécheresse devenue sainte, qui incarne le repentir et la confiance. De plus, si on s’intéresse à la morphologie du personnage, on peut voir que le corps de la madone est rond et qu’il n’est pas ici question de représenter un corps athlétique aux proportions parfaites.
Si je compare avec une œuvre du Catalogue, mais celle-ci suivant le style de la tradition académique, je peux facilement voir cette évolution du corps dans la peinture. Avec la peinture Reclining Nude (1915) de l’artiste William Brymner, je vois un corps parfait et sculpté. En effet, « l’artiste propose une vision idéalisée, ou le corps clair et finement ciselé de la femme » est mis en évidence. À travers les époques, la représentation des femmes dans la peinture peut prendre plusieurs formes et le corps évolue selon les courants esthétiques. La figure féminine passe d’une figure idéale ronde qui était le symbole de grâce et d’abondance, pour ensuite être représentée avec des corps découpés.

William Brymner, Reclining Nude, 1915.
Avec le temps, cela a changé bien sûr ! À l’époque de la peinture italienne florentine ou des premières académies artistiques, les corps féminins prennent une place importante dans l’art et certaines normes s’installent. Sous le regard d’artistes masculins, les femmes sont muses et modèles artistiques.
Les femmes artistes dans l’histoire de l’art
En 1971, l’historienne Linda Nochlin publie l’article « Pourquoi n’y a t-il pas eu de grands artistes femmes ? » dans lequel elle énumère les raisons idéologiques pour lesquelles les femmes ont longtemps été exclues de l’histoire de l’art. Dès le début des années 1970, plusieurs expositions sur les femmes artistes canadiennes contemporaines et du passé ont été organisées. Bien que depuis les trente dernières années « l’art des femmes soit largement analysé et que leur contribution dans le milieu de l’art soit grandement reconnue, certains pans de l’histoire de l’art des femmes du Québec restent néanmoins à documenter, notamment leur contribution à l’avènement de la modernité artistique. »

Louise Gadbois, La femme au coussin rose, 1949. Succession Louise Gadbois.
Louise Gadbois
J’ai continué à tourner les pages du livre et mon regard s’est arrêté sur La femme au coussin rose (1949), une peinture réalisée par l’artiste Louise Gadbois. Je lis que la peintre québécoise nait le 27 novembre 1896 à Montréal, dans un milieu conservateur et catholique. Venant d’un environnement bourgeois, elle est initiée très tôt aux arts tels que l’écriture, l’aquarelle, ainsi que la couture et la broderie. Un jour, la jeune femme décide de s’inscrire à des cours de dessin, à l’insu de son père. En 1919, Louise Landry Gadbois se marie, avant de donner naissance à six enfants, entre 1920 et 1927, ce qui retarde sa carrière artistique. Quelques années plus tard, « encouragée par son mari, elle entreprendra des cours de dessin, et ce, malgré la Crise et les préjugés ayant cours, surtout contre les femmes qui « (employaient leurs) énergies à des futilités» artistiques quand tant de besoins vitaux se manifestaient tragiquement (…) ».
Dans les années 1940, le Père Marie-Alain Couturier, un homme de foi qui s’investissait beaucoup dans la promotion de l’art moderne, encouragea grandement Gadbois, en rendant possible sa première exposition solo. Au cours de sa vie, l’artiste participa presque à l’ensemble des expositions collectives de la Société d’art contemporain, ainsi qu’elle en est membre fondateur et première signataire. « Cependant, témoignant possiblement du rôle que l’on associait toujours aux femmes à l’époque, elle semble davantage être considérée comme une bonne hôtesse que comme une peintre accomplie. »
Au fil du temps, « les femmes sont passées du statut de pionnières souvent isolées à celui d’artistes occupant avec éclat le devant de la scène ». (Moutas, 2004) Selon moi, la rupture est simple, lorsque les femmes prennent place sur la scène artistique, on voit des figures féminines qui sont représentées dans leur quotidien et en tant qu’individu. À l’époque des académies de peinture, les femmes artistes étaient peu nombreuses car elles n’étaient pas admises dans les classes de dessin avec modèle nu, elles n’avaient donc pas accès à toute la profession d’artiste.
Lorsque je regarde des œuvres réalisées par des artistes femmes, je remarque que la représentation de la figure féminine n’est pas la même. Les femmes sont plutôt représentées en tant que personnes et non plus comme une idéalisation de la figure féminine. La peinture La femme au coussin rose de Louise Gadbois laisse voir une femme contemporaine, témoin de son époque. Contrairement aux représentations académiques de la femme en peinture, l’artiste s’inspire de la psychologie du modèle pour la représenter. Gadbois est une artiste qui se démarque par ses œuvres dynamiques, et une palette restreinte. Ses peintures représentent pour la plupart des portraits, des natures mortes ou des paysages, et détonnent totalement de la tradition académique. Dans l’œuvre La femme au coussin rose, le personnage est représenté dans son quotidien, sur son fauteuil, dans toute sa transparence et son honnêteté.
Je trouve cela fou de voir comment, en superposant des œuvres, en les faisant dialoguer entre elles, il est possible de se questionner et d’en apprendre davantage sur l’histoire de l’art et, dans ce cas-ci, sur la représentation des femmes à travers le temps.
Sources :
1. Gaëtane Verna, « Le Musée d’art de Joliette : Guide des collections », 2012, Musée d’art de Joliette.
2. Lise Moutas, « Une intéressant exposition à Joliette : Cinquante artistes canadiennes », Le médecin du Québec, vol 39, no 2, 2004. En ligne : https://www.lemedecinduquebec.org/Media/82138/135-136ARTS0204.pdf
3. Nathalie Fortin, « La place des femmes dans la société d’art contemporain : Montréal, 1939-1948 », Mémoire présenté comme exigence partielle de la maîtrise en études des arts, Université du Québec à Montréal, 2007.
Cet article a été écrit par Marilou Prégent-Beaudoin, stagiaire aux communications du Musée d’art de Joliette et étudiante au baccalauréat en histoire de l’art à l’UQAM et relu par
Julie Armstrong-Boileau, responsable des communications du MAJ.
POUR PARTICIPER À MUSÉE EN QUARANTAINE
Vous avez jusqu'au vendredi 30 avril à midi pour nous envoyer vos créations artistiques inspirées du thème du mois. L’exposition sera en ligne le jeudi 6 mai 2021.