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Les couleurs des boréales (thème 37)


Titulaire d’un baccalauréat en histoire de l’art de l’Université de Montréal, Agathe Lambert est stagiaire en communications au Musée d’art de Joliette, pour terminer son D.E.S.S. en Récits et médias autochtones (Université de Montréal). Elle débute une maîtrise en muséologie à l’automne 2022 (Université de Montréal et UQAM).


Et si nous réfléchissions aux gestes que nous posons au quotidien ? Est-ce que le geste le plus banal de la vie peut avoir une charge émotive ou symbolique ? Pourquoi faisons-nous certains gestes ? Dans quel contexte est-ce qu’un geste anodin peut devenir un acte d’autonomisation, de réempouvoirement ou de résurgence ?


Ce que m’a d’abord évoqué le thème « geste et cérémonie », c’étaient les gestes du quotidien comme gestes cérémoniels. On peut penser aux mouvements que l’on répète chaque jour le matin en se levant, en préparant son déjeuner.


Cérémonies en contexte autochtone


En tant qu’étudiante en Récits et médias autochtones à l’Université de Montréal, le thème m’a rappelé les cérémonies en contexte autochtone, au sens large. Les cérémonies ou les rituels sont des célébrations publiques ou intimes qui visent à commémorer un évènement, un moment important pour une communauté. Cela peut inclure des cérémonies publiques, comme les powwow, ou alors des rituels plus intimes comme la cérémonie des premiers pas (expliquée plus loin). Elles sont alors des moments phares de la vie sociale de plusieurs groupes autochtones, comme c’est le cas chez les Atikamekw Nehirowisiw.


Les powwow sont de bons exemples de ces cérémonies et rassemblements comme moteurs principaux des bonnes relations sur le territoire. Elles permettent la transmission des savoirs entre les générations et le maintien des bonnes relations entre les communautés (beaucoup de personnes font des « circuits de powwow » pendant l’été et voyagent à travers diverses communautés afin d’assister aux évènements). Plus récemment nous avons pu voir que les powwow sont aussi des occasions de rencontres pour les Autochtones et les allochtones, lorsque ces derniers se rendent sur le territoire (Jérôme, 2008). Ainsi, la mémoire et les relations, au travers des cérémonies, font partie intégrante des groupes et communautés.


J’ai souvenir de Shuaushemiss

Grand-père chasseur

Je le revois avec son tambour

Il chante une femme aux cheveux blancs

Son chant pousse à la danse

Shuaushemiss dépose le tambour tendrement

Il me regarde puis éclate de rire

La femme aux cheveux blancs

C’est sa terre de chasse

Couverte de neige

Avec le vent

Elle tourbillonne

- - Uiesh. Quelque part, Joséphine Bacon, 2018, page 50


Une autre nuit

J’attends le sommeil

Viendras-tu dans mon rêve

Jouer le tambour

Faire danser ma vie

- - Uiesh. Quelque part, Joséphine Bacon, 2018, page 72


Dans ces deux poèmes parus dans Uiesh. Quelque part (2018), l’autrice et aînée innue Joséphine Bacon explore le territoire à travers ses souvenirs de Shuaushemiss, grand-père chasseur. Dans ce souvenir, elle évoque le tambour de son grand-père, et les chants alloués à une femme aux cheveux blancs. Bacon met en relation la femme aux cheveux blancs et la terre de chasse enneigée pendant l’hiver. Grâce à cette allégorie accompagnée de chants et du son du tambour, Joséphine Bacon lie intimement la cérémonie au sein du territoire. Nitassinan (territoire ancestral innu) devient ainsi le témoin du son du tambour comme porteur culturel et identitaire important.



Tewehikan (tambour, en atikamekw)

Tu es musique

Tes nuages sont sans frontières

Quand ils s’approchent

Leurs odeurs se parfument de brume

Tu danses la pureté des gouttes

Les yeux éteints

Je perçois ta beauté

Tes mélodies

Je dépose du tabac

En offrande sur une pierre

Je te suis redevable

Pour ma liberté

- - Un thé dans la toundra, Joséphine Bacon, 2013, page 10








Tambour de l’artiste Gilles Moar

Photo de Agathe Lambert – Autorisation

de diffusion par Gilles Moar. Photographie prise

à l’occasion de sa présentation sur les cérémonies

et les régalias traditionnels sur le site

Matakan (Lac Kempt, Nitaskinan) – Juin 2021



Offrandes sur le territoire


Les odeurs et offrandes sur le territoire font partie intégrante des cérémonies et rituels. Joséphine Bacon lie intimement les pratiques traditionnelles innues avec la musique, la liberté et la nature. De plus, les gestes posés peuvent avoir une signification particulière au sein d’une communauté. Le respect, le partage, l’entraide sont autant de valeurs importantes qui sont exprimées sur le territoire, au travers de certains gestes :


Ici, dans la communauté, tu te fais ton petit repas pour toi. Là-bas, tu vas faire une grosse bannique pour tout le monde. Il faut la faire assez grosse et assez bonne. Tu vas être tellement content de la partager, en plus ! Il y a des gestes qui sont posés qui font qu’ils t’apprennent à partager. Le partage, c’est une forme de respect. C’est donc très important. […] Il y a des gestes qu’ici, dans la communauté, on ne pose plus. La forêt nous rappelle ces gestes importants. Il y a une valeur qui est véhiculée au travers du territoire. (Réginald, Innu)


(Dans Guay et Delisle l’Heureux, 2019 : 67)


Tabac cérémoniel, tambour atikamekw, tambour de chasseur innu, tambour d’eau wendat, omoplate d’oskenothon (chevreuil) : objets présentés dans le cadre de l’exposition De tabac et de foin d’odeur. Là où sont nos rêves, commissariée par Guy Sioui Durand, Musée d’art de Joliette, 2019. Photo : Paul Litherland.


Les rituels et cérémonies sont porteurs d’actions symboliques mais aussi perçus comme des processus continus qui se réactualisent et reflètent les contextes sociaux aujourd’hui. Il s’agit d’un univers façonné par la créativité où les espaces d’interprétation sont demeurés ouverts, aux participant.e.s comme aux spectateurices. C’est le cas, par exemple, de orowitahawasowin (la cérémonies des premiers pas[1]), qui reflète autant la mémoire collective que le contexte contemporain, et qui souligne un moment crucial dans la vie des jeunes enfants atikamekw nehirowisiw (Jérôme, 2008).


Les rituels et les cérémonies se trouvent au cœur de la poésie de Bacon, où les odeurs de tabac, la musique du teueikan[2], les gouttes de la brume animent l’écriture.


Si l’on pense aux gestes, sans se limiter à la main, mais aux gestes du corps en mouvance dans l’espace, le thème 37 proposé par le MAJ n’est pas sans rappeler le nomadisme et les déplacements sur Nitassinan :


là-bas, au Nord ! s’était-il écrié le ciel

les feuilles volent seules, avant de mourir

un feu

brûlant de l’intérieur

et je me mets à rire

te faire sourire

à l’intérieur

sur la toundra inhabitée

il vente, un cri étouffé

la vie

s’étend dans l’espace

nos existences se croisent

en fil de capteur

je songe

les couleurs des boréales

soir

piqué de montages sacrées

fondues dans l’immensité

des subconsciences


tes doigts sur ma peau

mes cheveux

perlés de nacre


pour toi faire entendre une folie bergère

la tendresse est un vent contraire.


- - N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, Natasha Kanapé Fontaine, page 37


Originaire de Pessamit, Natasha Kanapé Fontaine est une artiste pluridisciplinaire engagée. Sa poésie inspire le mouvement des feuilles, le souffle du vent et l’intensité du paysage boréal. Les gestes des doigts s’étendent sur sa peau, ses cheveux perlés de nacre. À travers sa poésie, Kanapé Fontaine exprime le mouvement du corps mais aussi des éléments du territoire.


Finalement, grâce ce court poème, Natasha Kanapé Fontaine rappelle que l’autochtonie est présente sur le territoire, comme en milieu urbain :


trop longtemps

j’ai porté mon canot

en des forêts citadines

mon pays m’appelle

mon pays me revient

j’achève mon exil

pour un retour tremblant

- - N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, Natasha Kanapé Fontaine, page 42


L’idée de l’autochtonie en milieu urbain est également suggérée dans cette vidéo de Wapikoni Mobile, qui contribue à défaire les stéréotypes, notamment à travers la visibilisation des Premières Nations dans les villes. Marie-Édith Fontaine et Jemmy Echaquan Dubé performent habillées de leurs régalias, inscrivant de cette façon les Atikamekw Nehirowisiw dans l’espace urbain. Ainsi, elles rappellent l’omniprésence des cultures autochtones et le fait que chaque espace que nous habitons est un territoire autochtone.


Wapikoni Mobile, « Deux Pocahontas en ville »



Sources d'inspiration


Avec cet article j’espère vous avoir permis de penser au thème du mois de juin « geste et cérémonie » avec une autre lumière. Les productions artistiques, littéraires et matérielles sont autant de sources de créativité d’une grande richesse. Les gestes et les cérémonies peuvent être performés et vécus dans plusieurs contextes, en milieu urbain, comme sur le territoire. Le geste du quotidien, tout comme les rituels organisés, ont chacun une signification particulière à laquelle nous sommes invité.e.s à réfléchir à l’occasion du Mois national de l’histoire autochtone.


Nous vous invitons à vous renseigner sur les activités en lien avec les peuples autochtones autour de chez vous. Voici quelques dates à mettre à votre agenda :


- Pow wow de Manawan : 5, 6 et 7 août 2022

- Pow wow de Wemotaci : 3 et 4 septembre 2022



Cet article a été écrit par Agathe Lambert, stagiaire en communications, et relu par Julie Armstrong-Boileau, responsable des communications et du marketing, et Camille Blachot, coordonnatrice des communications et des projets numériques, Musée d’art de Joliette.


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[1] La cérémonie des premiers pas est une cérémonie traditionnelle atikamekw qui vise à célébrer les premiers pas d’un jeune enfant. Ce moment heureux est généralement réalisé au printemps ou à l’été, parfois à l’occasion de powwow. L’enfant sort de la tente, marche jusqu’à un arbre dont il fait le tour, et revient vers la tente. La cérémonie est ponctuée de jeux, de distribution de nourriture, et est généralement terminée par un festin. La famille nucléaire, éloignée et la communauté sont présentes.

[2] Tambour en innu-aimun.

 

POUR PARTICIPER À MUSÉE EN QUARANTAINE


Vous avez jusqu'au jeudi 30 juin pour nous envoyer vos créations artistiques inspirées du thème du mois. L’exposition sera en ligne le jeudi 7 juillet2022.

Cliquez ici pour savoir comment participer.

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