L'équipe du MAJ
Plastique : nouveau matériau ou matière réutilisable ?
Quand on m’a demandé à quelles œuvres ou à quels artistes de notre collection pouvait être reliée la thématique du mois de février, deux œuvres m'ont spontanément interpellée : Marines, Paysages 2 – 13 (2002) de Jérôme Fortin et Ovexpansible rouge (1968) de Jean Noël.
L’idée, ici, n’est pas de faire l’historique de l’utilisation du plastique dans l’histoire de l’art ni d’avancer une théorie esthétique ou philosophique. Pour cela, je vous invite à lire l’excellent article de ma collègue Anne-Marie St-Jean Aubre Le plastique : une matière qui change les pratiques, publié il y a quelques jours.
Jérôme Fortin : Marines, Paysages 2 – 13
Artiste autodidacte natif de Joliette, Jérôme Fortin (1971-) s’est imposé sur la scène artistique contemporaine canadienne et internationale. Qualifié de « glaneur urbain »[1] et s’inscrivant dans la tendance de l’Arte Povera, l’artiste réalise, depuis 1995, des sculptures-installations qui combinent la tradition du cabinet de curiosités (ces mini musées privés du XVIe siècle) à la pratique de consommation de masse des XXe et XXIe siècles. Bouchons de liège, bouteilles de plastique, livres, allumettes, clous et boîtes de conserve sont astucieusement accumulés, manipulés et assemblés en plusieurs séries de curiosités visuelles et plastiques.
L’œuvre Marines, Paysages 2 – 13 fait partie d’une série d’œuvres réalisée dans le cadre d’une résidence d’artiste en 2001 à Est-nord-est, un lieu de recherche et de production en art actuel situé à Saint-Jean-Port-Joli, au Québec.

Jérôme Fortin, Marines, Paysages 2 - 13, 2002
Les œuvres de la série des Marines sont fabriquées avec des contenants de plastique multicolores que Fortin a récupérés sur les berges du fleuve Saint-Laurent. L’artiste a passé de nombreuses heures à accumuler, puis à découper ces contenants en bandelettes pour ensuite les étirer, les aplatir et les superposer sur un mur pour former des tondi. Bien qu’étirées, les bandelettes restent ondulantes et évoquent des vagues. La présence des goulots des contenants révèle le nombre de contenants utilisés. Les tondi ainsi créés s’apparentent, aux dires de l’artiste, à des hublots ou à la vue de la mer à travers une lunette d’approche.[2]
Chacun des tondi ainsi créés est différent par sa texture, sa forme, le niveau de transparence ou d’opacité de ses bandelettes, sa couleur, et ce, en fonction des contenants réutilisés. Certains de ces tondi sont conçus pour être exposés seuls tandis que d'autres sont réunis pour constituer un ensemble. C’est ce que l’artiste a décidé pour Marines, Paysages 2 – 13, qui appartient à la collection du MAJ depuis 2003 grâce à la générosité de l’artiste.
Le travail de Jérôme Fortin s’inscrit aussi dans les propositions esthétiques de l’art optique et cinétique des années 1960, qui nous donnait à voir des illusions réalisées sur une surface plane à l’aide de la juxtaposition de formes, de lignes et de couleurs. Fortin s’amuse à transposer sur un support tridimensionnel ces effets optiques. Le mouvement virtuel créé par déplacement du spectateur, caractéristique de l’art optique, est bien présent dans Marines, Paysages 2 – 13.

Jérôme Fortin, Marines, Paysages 2 - 13, 2002
Le plaisir du travail manuel et de la manipulation de la matière se retrouve au cœur de la démarche artistique de Fortin. Comme on peut le constater dans toutes ses séries d’œuvres, Jérôme Fortin aime s’inspirer des objets déjà existants, manufacturés ou tirés du quotidien. Il exploite leurs spécificités (volume, forme, couleur et texture). En ce sens, sa pratique s’apparente également à celle de Philippe Allard, dont le travail récent est présenté au MAJ. L’apparence poétique et énigmatique de leurs œuvres détourne l’aspect usuel des objets du quotidien pour exciter notre regard contemporain.[3]
Le travail d’exécution de Fortin demande patience, précision et dextérité. Il répète les mêmes gestes des dizaines et des dizaines de fois. En ce sens, cette répétition d’un geste précis qui sous-tend les œuvres de Jérôme Fortin n’est pas sans rappeler le travail de Rober Racine, qui est fort méticuleux, méditatif et qui se prolonge dans le temps.
Jean Noël : Ovexpansible rouge
À la fin des années 1960, l’artiste Jean Noël (1940-) se tourne vers des matériaux industriels et récupérés comme moyen d’expression. Après avoir exploité des matériaux plus conventionnels, le bois et le bronze, l’artiste s’intéresse au plastique, au plexiglas thermoformé, au vinyle, à la fibre de verre et même aux tissus. À l’aide de ces matériaux, Jean Noël réalise des œuvres à la fois complexes et fragiles vivement colorées. Parfois, accrochées au mur ou encore pendues au plafond par des attaches très fines, les œuvres de l’artiste jouent sur des questions d’équilibre et de déséquilibre. Suivant sa participation à l’évènement Corrid’Art, à Montréal, en 1976, Jean Noël s’exile à Paris où il acquiert une certaine notoriété. En effet, l’entrée d’une de ses œuvres dans la collection du Musée d’Art Moderne de Paris, situé au Centre Pompidou, en témoigne.

Jean Noël, Ovexpansible rouge, 1968
Ovexpansible rouge est une sculpture en plexiglas thermoformé composée de deux formes identiques assemblées latéralement. La forme sinueuse du relief de la sculpture semble évoquer le mouvement d’un serpent, ou bien la matière qui se soulève sous les mouvements d’un serpent. Un effet d’avancement et de recul est créé par les volumes de la sculpture ainsi que par les reflets de la lumière sur le matériau. Jean Noël a réalisé de nombreuses œuvres similaires portant le même titre (ou presque). L’œuvre est caractéristique de la série des Ovexpansible par son matériau et la multiplication des formes identiques. Conçue pour être installée sur un mur, elle a été présentée dans l’exposition permanente du Musée d'art de Joliette, Les siècles de l’image, de 2002 à 2013.
Nous espérons que cet article vous donne de l'inspiration pour votre propre création et que vous participerez à l'exposition du mois de Musée en quarantaine.
[1] Charron, Marie-Ève, « Des joyaux de petits riens », Le Devoir, 17-18 août 2002 [2] http://jeromefortin.com/portfolio/marines/ [3] Information tirée du site web de l’artiste
Cet article a été écrit par Nathalie Galego, adjointe aux collections du Musée d'art de Joliette.
Choix de lecture
➔L’article Le plastique : une matière qui change les pratiques rédigé par Anne-Marie St-Jean Aubre, conservatrice de l’art contemporain du Musée.
➔ Le catalogue d’exposition Jérôme Fortin. Ici et là.
Produit et publié par le Musée d’art de Joliette en 2002.
➔ Le catalogue d’exposition Jean Noël. La Mécanique des fluides.
Co-édité par le 19, Centre Régional d'Art Contemporain, Montbéliard (France) et le Musée d’art de Joliette en 2001.
POUR PARTICIPER À MUSÉE EN QUARANTAINE
Vous avez jusqu'au dimanche 28 février pour nous envoyer vos créations artistiques inspirées du thème du mois. L’exposition sera en ligne le jeudi 4 mars 2021.