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Semaine 12 – La performance : une discipline immatérielle historiquement « en marge » des collection

Thème de la semaine : la marge


Depuis le début des années 2000, plusieurs ouvrages théoriques sur la performance en arts visuels, expérimentations sur l’exposition de la performance et rapprochements avec la danse et la chorégraphie, ont attiré l’attention. À Montréal, des historiennes de l’art telles Anne Bénichou et Barbara Clausen ont travaillé sur la performance et sa documentation, dans des ouvrages pour la première (Ouvrir le document publié en 2010 et Recréer / Scripter publié en 2016, tous deux aux Presses du réel) ou des expositions pour la seconde (un projet sur Babette Mangolte, qui a photographié les performances des années 1970 avant de se tourner vers la documentation vidéo, présenté à VOX en 2013, ou une exposition de la performeuse et vidéaste Joan Jonas à la Fondation DHC, maintenant PHI, en 2016).

Ce que ces deux théoriciennes explorent, chacune à leur façon, ce sont les statuts des documents /traces, découlant de la performance, ou produits pour la performance, leur rôle de témoignage, de script, ou carrément d’œuvres, remplaçant la performance originale. Cet intérêt pour le document et la transmission n’est pas nouveau, mais il permet d’aborder le tournant qui s’est amorcé dans les années 2000, au sein des grandes institutions muséales comme le MoMA à New York, le SFMoMA à San Francisco ou la Tate Modern à Londres, qui se sont engagées dans l’acquisition de performances, sous toutes sortes de formes, qu’on pense à des captations vidéos, à des notations, à des photographies, ou à des ententes qui dressent les conditions de recréation d’actions live.

Le genre de la performance, associé aux mouvements des avant-gardes dada, futuriste, situationniste, à Fluxus et aux happenings des années 1950, visait à rapprocher l’art de la vie en focalisant l’attention sur le moment présent, la rencontre, l’expérience du corps devant soi. Immatérielle par essence, la performance s’inscrivait en marge du marché de l’art et de ses activités commerciales. D’où sa relative absence des collections muséales.

Le Musée d’art de Joliette n’a encore aucune œuvre performative dans ses collections. Par contre, depuis sa réouverture, il intègre la présentation de performances dans sa programmation, sous la forme d’événements uniques, de résidences de création et parfois même d’exposition. L’exposition de Stéphane Gilot, Le catalogue des futurs, présentée durant six mois en 2016 incluait un programme de trois performances (Belinda Campbell, k.g. Guttman et Sophie Breton) et une résidence performative de Caroline Boileau, qui a vécu au Musée durant cinq jours. Explorant l’idée de durée, l’exposition s’est transformée en cours de route, le Musée invitant les visiteurs à en refaire l’expérience, renouvelée après trois mois. Lieu d’une recherche vivante, l’exposition se voulait « performative » en quelque sorte. Le programme de résidences développé avec le Théâtre Hector-Charland s’inscrit dans cette volonté de faire une place à la danse et à la performance dans nos murs. Mais plus encore, ce sont des défis de l’exposition et du collectionnement des performances sur lesquels j’aimerais insister cette semaine.

Avec Suite canadienne, une démonstration, présentée en 2019, Adam Kinner prolongeait l’expérience de sa performance éponyme, réalisée en résidence au Musée, à travers une exposition d’œuvres / documents liés à ses recherches autour de Suite canadienne, une chorégraphie originale de Ludmilla Chiriaeff, fondatrice des Grands ballets canadiens. L’exposition comprenait du matériel photographique ayant nourri la conception de la performance, une vidéo alliant le témoignage d’un maître de ballet de la compagnie de Chiriaeff à des moments de répétition du groupe assemblé par Kinner, un enregistrement de l’œuvre originale de Chiriaeff interprétée pour une diffusion sur les ondes de Radio-Canada dans les années 1950, une recréation de cette même performance par Kinner, un texte ainsi qu’un rideau du type de celui qu’on voit sur les photographies documentaires. Il n’a jamais été question d’ajouter à l’exposition la captation de la performance interprétée devant public par Hanako Hoshimi-Caines, Louise Michel Jackson, Kelly Keenan, Justin de Luna, Mulu Tesfu et Adam Kinner, au moment du vernissage. Une seule représentation a été offerte, il n’y avait qu’un nombre limité de places et certains visiteurs qui souhaitaient y assister n’ont pas pu entrer dans la salle, ce qui a causé des déceptions. Mais n’est-ce pas là la nature même de la performance : un événement ponctuel à durée déterminée, qui peut être répété, ou non ? Il faut y être pour le vivre, et voilà tout.

Pourtant, ce cas de figure montre la pluralité de documents qui entourent une œuvre performative, qui peuvent en témoigner, sans nécessairement la remplacer. Ce qui pose la question de la nature de l’œuvre performative et de la manière d’en assurer sa transmission, pour la postérité. Comment la documenter ? Comment la collectionner ? Comment l’exposer ? Ces défis posés aux institutions muséales les forcent à interroger leurs pratiques.

Le Musée d’art contemporain de Montréal a fait l’acquisition de sa première performance, This Situation de l’artiste Tino Sehgal, dans la foulée de son exposition au MACM en 2013. Sehgal refuse toute documentation de la performance, il ne fournit aucun script, le processus d’acquisition se fait oralement, se scelle par une poignée de main, et c’est par la transmission orale et corporelle, soit le passage de l’expérience d’interprètes à interprètes, qu’elle se transmet. Cette acquisition est courageuse. Elle met en lumière la responsabilité de l’institution pour la sauvegarde d’une œuvre – qu’elle soit matérielle ou non. Simplement dans ce cas-ci, cette responsabilité est d’autant plus grande que le MACM doit mettre en œuvre une passation à travers son équipe, qui sauvegarde la mémoire de l’événement, et cible les paramètres essentiels à sa recréation, sans quoi l’œuvre se perdra. Un entretien par Amélie Giguère, avec l’équipe du Musée liée à cette acquisition, est très parlant à ce sujet.

La performance a été en marge des collections muséales. Ce n’est plus exactement le cas, mais reste que le genre soulève les impensés des pratiques de collectionnement, et force les institutions à adapter leurs pratiques. Le MAJ est en processus d’acquisition d’un corpus de documents entourant une œuvre performative. L’acquisition n’est pas confirmée donc je ne peux pas donner plus de détails pour le moment, mais l’équipe développe ses connaissances et se pose justement toutes sortes de questions du type de celles soulevées précédemment. Soyez à l’affût pour plus de détails !


Adam Kinner, Suite canadienne, une démonstration, 2019, performance, Musée d'art de Joliette. Photo : Romain Guilbault.


Adam Kinner, Suite canadienne, une démonstration, 2019, vues d’exposition, Musée d'art de Joliette. Photo : Paul Litherland


Adam Kinner, Suite canadienne, une démonstration, 2019, vues d’exposition, Musée d'art de Joliette. Photo : Paul Litherland


Cet article a été écrit par Anne-Marie St-Jean Aubre, conservatrice à l'art contemporain du Musée d'art de Joliette. LIRE TOUS LES ARTICLES D'ANNE-MARIE.

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