- cblachot
Semaine 10 - Aller au-delà du religieux
Dernière mise à jour : 26 mai 2020
Thème de la semaine : art et spiritualité
Premier avant-propos
Qu’est-ce que la spiritualité? C’est la vie de l’esprit, spécialement dans son rapport à l’infini, à l’éternité, à l’absolu, répond le philosophe André Comte-Sponville.
Le mot « spiritualité » vient du latin « spiritus », qui veut dire esprit. La spiritualité concerne tout ce qui donne un sens à la vie, tout ce qui touche à l’être humain dans ce qu’il a de plus profond et de plus authentique. Cependant toute spiritualité n’est pas forcément religieuse, précise Comte-Sponville. En effet, spiritualité et religion ne sont pas à confondre. Le domaine de la spiritualité est plus large que celui de la religion. Elle peut jaillir, s’épanouir et se situer hors du religieux.
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Deuxième avant-propos
L’art prend ses sources dans son époque. D’ailleurs Kandinsky a écrit : Toute œuvre d’art est l’enfant de son temps. Les œuvres des 13e, 14e et 15e siècles de la collection du MAJ traitent du religieux, parce que ce sujet était imposé à l’artiste par le commanditaire de l’œuvre. À l’époque, l’artiste n’était pas considéré comme un créateur (seul Dieu l’était), mais comme un simple exécutant. Les œuvres étaient réalisées sur commande et cette commande était passée par un client qui exigeait une fabrication conforme à ses prescriptions (sur le thème, la composition, les couleurs, etc.). Le commanditaire et l’artiste passaient un contrat en bonne et due forme aux termes duquel le second s’engageait à fournir ce que le premier avait spécifié avec plus ou moins de détails. Comme le principal commanditaire était l’Église, et étant donné la place primordiale qu’occupait alors la religion dans la société de l’époque, l’artiste se voyait généralement imposer un sujet religieux.
Le défi de l’artiste, aux prises avec l’art et la religion, était de ne pas produire un art religieux qui a perdu le sens de l’art, une œuvre qui ne soit qu’une œuvre de culte, c’est-à-dire réduite au statut d’instrument au service de l’édification religieuse.
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Inconnu, Christ de pitié, XVe siècle. Collection Wilfrid Corbeil, don des Clercs de Saint-Viateur du Canada
Cette sculpture m’a heurté la première fois que je l’ai vue, à l’âge de treize ans, lors de ma première rencontre avec les œuvres de la collection des Clercs qui, à l’époque, se trouvaient au séminaire de Joliette entassées dans un local fermé au public. Elle ne correspondait pas à ma définition de l’art qui, à ce moment-là, se résumait en un seul critère : la perfection. L’art était la manière de porter une technique à sa perfection, de sublimer une matière noble (marbre, bronze, ivoire, or — rien de moins) et d’atteindre un niveau inégalé dans l’imitation de la nature. Bref, l’art c’était faire beau. Le Christ de pitié ne correspondait en rien à ma définition de l’art.
Pour moi, cette œuvre était décevante, ridicule même. Elle n’était qu’en bois, et, manifestement, l’artiste ne maîtrisait pas la technique de la sculpture et n’avait aucune connaissance de l’anatomie et des proportions humaines. Je me demandais même ce qu’elle faisait dans cette collection. Mais le destin nous avait ménagé en secret plusieurs autres occasions de nous revoir au fil des ans.
Ma conception de l’art s’est modifiée et étoffée au cours de mes études en art, de ma pratique artistique et de mon travail au Musée. Chaque nouvelle rencontre avec cette œuvre suscitait chez-moi de plus en plus d’intérêt. Chaque fois, je la cernais de questions, je la soumettais aux rayons X de mes nouvelles connaissances.
Puis, un jour, j’ai arrêté de vouloir la saisir et je me suis laissé saisir par elle :
Le Christ, dénudé, est assis sur un minuscule socle, dans un moment de déréliction suprême. Après avoir été publiquement humilié, outragé et blessé dans sa chair, il fait face à la mort, à sa propre mort imminente et atroce. Le regard perdu et abîmé, la tête appuyée dans la paume de sa main (la gestuelle de la mélancolie – il a la même gestuelle que l’ange dans Melancolia I de Dürer). Le monde n’existe déjà plus pour lui. À cet instant, il est absorbé totalement par son angoisse devant sa propre fin. Il nous entraîne dans ses pensées et confronte notre condition humaine à l’infini, l’éternité et l’absolu.
Finalement, cet artiste anonyme que je méprisais du haut de mes treize ans a su aller au-delà du religieux, au-delà de toute représentation, trouver le chemin d’accès à la spiritualité et produire une œuvre qui touche à l’être humain dans ce qu’il a de plus profond et de plus authentique.

Albrecht Durer, Melancholia I, 1534
Cet article a été écrit par Gérard Brisson, agent administratif du Musée d'art de Joliette.
Pour connaître le lien d'attachement de Gérard Brisson au Musée d'art de Joliette, cliquez ici pour lire son autre billet de blogue.
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